• Je ne sais pas vraiment pourquoi (enfin, si : je commence tout de même à comprendre un peu, malheureusement), mais au cours de mon adolescence et de ma vie de jeune adulte, j'ai eu pas mal d'"ami-e-s" qui se servaient de moi comme d'un alibi, comprenez d'un prétexte pour sortir ça et là, dans le seul et unique but de trouver ce qu'on appelle vulgairement l'âme sœur, ou tout bonnement n'importe quel homme (ah ben oui, un homme, bien entendu : ah, ah ! Qu'est-ce que ça pourrait bien être d'autre, franchement ?) avec lequel se montrer, ou se caser.

    N'appréciant que modérément les intrigues et autres romans policiers, j'ai découvert pour la première fois le terme alibi en entendant mes parents discuter à propos de ma "relation" entre D. - une voisine que je fréquentais alors assez souvent -  et moi-même. Ainsi, papa disait : "Je n'aime pas trop ça : à chaque fois, D. prend Cha comme alibi afin d'aller voir  cette bande de jeunes qui fait un raffut pas possible dans le quartier". En fait, c'était tout simple : cette jeune adolescente annonçait à sa mère qu'elle allait se promener gentiment avec moi (et/ou avec le chien), ce qui était vrai, mais bien que cela ne me tentait guère, elle insistait toujours pour passer du côté de l'aire de jeu - que dis-je - du squatt où se tenaient une bande de subadultes moqueurs qui faisaient vrombrir leur mobylette pour emmerder l'monde, et, surtout, qui traitaient mon "amie" de gros tas, de thon et de boudin.

    Cela ne la blessait guère, du moins en apparence. Le seul fait qu'ils l'aient remarquée d'une façon ou d'une autre semblait la contenter. Quant à moi, je les trouvais bien bêtes avec leurs rires gras de concert qui ne tintaient même pas dans leurs débris de cannettes, et détestais par dessus tout leur blaireautique attitude.

    Bien plus tard, cette "amie" a enfin (ouf : parce-que le célibat, y a pas à dire, mais ça fait looseuse, hein, surtout passé un certain âge), rencontré un bon jeune homme bien fade et bien poli dans le cadre de son boulot (original, non ?), s'est en toute logique mariée, puis, d'autres "ami-e-s" m'ont fait le coup, en insistant, par exemple, pour sortir en boîte en ma compagnie (ben ouais, seule, c'est difficile), histoire, non de passer un bon moment avec moi, mais de se faire éventuellement approcher par quelqu'un (parce-qu'il y a un âge où c'est comme ça et pis c'est tout !). Et dès quelles trouvaient ce quelqu'un : bonsoir mon Cha (option "Je viendrai quand même monologuer chez toi le jour où Bichounet sera parti en vadrouille avec ses potes adorés") ! Pas une grande perte, me direz vous. A-t-on besoin de traîner avec des personnes qui vous déconsidèrent ainsi ? Effectivement, je suis bien d'accord et j'ai toujours aspiré, au fond de moi, à d'autres types de relations, à mille lieues de ces convenances qui ont pour origine une structure qui me donne souvent la nausée. N'empêche que je n'aime pas - et vous le comprendrez sans doute - qu'on m'utilise dans ce genre de dessein, sous prétexte qu'il soit apparemment de bon ton de montrer à des veaux formatés tout le monde qu'on arrive à intéresser un hoooomme (oh, quel exploit ! ;op), voire à se mettre en couple comme  la tradition le veut (mais on peut appeler ça "grand amour", ça ne coûte rien, et si un-e ou deux gogos peuvent gober cela, c'est toujours ça de gagné pour la gloriole).

    Le pire étant qu'un certain nombre de ces personnes sont venues pleurnicher à mon oreille quelques années plus tard pour me dire combien elles s'emmerdaient (dans le moins pire des cas) avec leur douce moitié élue avec soin...

    Seulement, je ne suis plus là. Partie. Ras l'dronte. On a des conceptions de la vie et de l'amitié différentes voire opposées, et maintenant, que chacun-e se débrouille avec ça, c'est tout. Oh, je dois vous sembler si dure... Si vous saviez...


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  • Je passe actuellement quelques heures par jour à dévorer des ouvrages d'il y a près d'un demi-siècle, et souvent, je me dis que rien n'a vraiment évolué au niveau des mentalités. Pire, je perçois comme un regain de machisme primaire depuis quelques années. Il faut toujours rester vigilant-e-s, Toujours. On ne le répétera jamais assez.

    Un extrait de Toilettes pour femmes, de Marilyn French (la protagoniste vit aux Etats-Unis dans les années 50) :

    "Elle [Mira, suite à une soirée passée dans un bar] était accablée. Voilà donc tout ce que cela voulait dire, tous les trucs bizarres qu'on lui avait appris. Tout s'éclairait, tout s'expliquait. Et ce tout était trop lourd pour elle. D'autres filles allaient dans les bars, d'autres filles dansaient. La différence était qu'elle avait donné l'impression d'être seule. Qu'une femme ne fût pas marquée comme propriété d'un mâle en faisait une putain en chaleur susceptible d'être attaquée par n'importe quel mâle, ou même par tous en même temps. Qu'une femme ne pût pas sortir et s'amuser à danser sans se soucier de ce que penseraient (ou pire, c'était bien probable) tous les mâles, voilà qui lui semblait une grande injustice qu'elle n'arrivait pas à l'avaler.

    Elle était femme et cela seul suffisait à la priver de liberté, quoi que pussent dire les livres d'histoire, qui prétendaient que le droit de vote pour les femmes avait marqué la fin de l'inégalité ou que l'on déformait les pieds des femmes uniquement dans un pays anachronique, pas à la page et étrange comme la Chine. Elle n'était constitutionnellement pas libre. Elle ne pouvait pas sortir seule le soir. Elle ne pouvait pas, dans un moment de solitude, sortir dans une taverne pour boire un verre en compagnie. Les deux fois où elle avait pris un train de jour, pour visiter les musées de New York, elle avait été draguée sans arrêt. Elle n'avait même pas le droit de donner l'impression d'être sans escorte, si cette escorte désirait la laisser tomber, elle était perdue. Et elle n'avait même pas le droit de se défendre : il lui fallait s'en remettre à un mâle là aussi. Et quoique faible et boiteux, Biff [atteint de la polio] était plus à même qu'elle de s'occuper de toutes ces choses là. Si ces types s'en étaient vraiment pris à elle, toute sa colère, toute sa hauteur et toute sa force ne lui auraient jamais servi à rien".

    J'ai franchement l'impression de relire un fragment de ma jeune vie d'adulte (en 1998, j'avais le même âge que Mira). Dix ans plus tard, je me fais toujours harceler dès lors que je m'affiche seule, on me conseille toujours de me faire chaperonner "faute de mieux", d'étranges réputations courent à mon propos, et il m'est impensable d'entrer seule dans certains bars de nuit.

    Tout ça dans nos pays qui se targuent d'être égalitaires et civilisés.

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  • « Pourquoi aurions-nous donc un privilège ? Est-ce parce que nous sommes les plus forts ? Mais c'est une véritable injustice. Nous employons toutes sortes de moyens pour leur abattre le courage. Les forces seraient égales, si l'éducation l'était aussi. Eprouvons-les dans les talents que l'éducation n'a point affaiblis ; et nous verrons si nous sommes si forts ».

    (Montesquieu, Lettres Persanes)


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  • « Je voulais que ma vérité soit irréversible. Que plus jamais nous ne puissions rentrer dans nos cages. Que jamais nous ne pardonnions aux hommes de ne pas se battre à nos côtés pour changer la vie vraiment. N'en démordre que le jour où l'assassinat, le viol, l'excision et les milliers de petites morts quotidiennes des femmes cesseraient d'avoir force de loi. Je voulais comprendre avec vous notre docilité, nos démissions, nos impuissances » [...]

    (Cathy Bernheim - Perturbation, ma sœur)


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