"Les femmes sont victimes d'un tel conditionnement
concernant leur image physique qu'elles se déshabillent rarement avec
panache. Elles se sentent souvent tenues de s'excuser de ne pas être
conformes à l'objet plastique du désir masculin tel qu'il est défini
par les mass média. Leurs seins et leurs fesses sont toujours trop ceci
ou trop cela, leurs bras trop velus, trop musclés ou trop maigres,
leurs jambes trop courtes ou trop grosses, etc. La femme ne cherche pas
à provoquer des compliments, elle cherche sincèrement une excuse. Le
compliment doit la rassurer en affirmant que les imperfections
n'existent pas, et non pas qu'elles sont sans importance. La femme qui
déplore avoir des fesses trop basses ne veut pas que l'homme lui
réponde "je m'en moque, je t'aime" mais "tes fesses sont parfaites, tu
ne les vois pas comme moi je les vois".
Les femmes qui ont les
cheveux frisés s'efforcent de les aplatir, celles qui ont les cheveux
raides, de les boucler, et ont recours à la teinture pour les éclaircir
ou les foncer. Il ne s'agit pas seulement de suivre la mode. Les femmes
sont mécontentes de leurs corps et souhaiteraient pouvoir les modifier
à volonté. Les artifices utilisés par les femmes ne sont pas destinés à
mettre en valeur la nature, mais à la déguiser, par peur et dégoût de
la réalité. Une lumière tamisée, des dessous froufroutants, de l'alcool
et de la musique leur donnent l'espoir de faire passer un produit de
qualité inférieure qui, sous une lumière crue et complètement nue,
risquerait d'être répugnant.
L'empire qu'exerce le stéréotype
est le facteur principal de cette haine de l'homme et de la femme pour
le corps féminin. Tant que la femme réelle n'aura pas réussi à chasser
ce spectre de son imagination et de celle de l'homme, elle continuera à
chercher une excuse et à se déguiser tout en acceptant que l'homme soit
ventripotent, chauve, qu'il ait des verrues ou mauvaise haleine.
L'homme exige avec présomption qu'elle l'aime tel qu'il est, en
refusant de faire l'effort de lutter contre les déformations physiques
qui risquent d'offenser la sensibilité esthétique de son épouse. La
femme, elle, ne parvient pas à se contenter d'être souple et en bonne
santé. Elle s'épuise à se donner une apparence qui ne peut être obtenue
que par une distorsion constante de la nature.
Est-ce trop
demander que d'épargner aux femmes d'avoir à lutter quotidiennement
pour offrir une beauté surhumaine aux caresses d'un partenaire d'une
laideur subhumaine ? Les femmes ont la réputation de ne jamais être
dégoûtées. Hélas ! Elles le sont souvent. Non pas par l'homme mais, à
son exemple, par elles-mêmes".
(Germaine Greer, La femme eunuque, repris par Annie Goldmann dans Les Combats des Femmes - XXème siècle)